De quel livre je me chauffe?
Par Mishka Lavigne

Mishka Lavigne sera invitée d’honneur du Salon du livre de l’Outaouais, du 27 février au 1er mars 2020. Voici sa réponse au thème du Salon, De quel livre tu te chauffes?


On a toujours su que les livres pouvaient changer le monde.

Les livres sont le meilleur moyen de nous sortir de notre époque de fake news, de notre époque de peur et de retour à certaines forces d’obscurantisme, de notre époque qui vacille entre le trop et le pas assez.

À travers l’histoire, on a vu des livres mis à l’index par l’Église, des livres frappés de censure, des livres détruits dans les books burnings de différents régimes politiques. On a vu des auteurs et des autrices visés par des représailles, par des fatwas. On a vu des auteurs et des autrices exilés, torturés, tués pour leurs idées.

On sait que le papier brûle à 451 degrés Fahrenheit.

On sait ce qu’on peut perdre.

Alors, de quel livre je me chauffe? Je me chauffe de danger, de réponses, d’information, d’antidote à mes inquiétudes. Je me chauffe de comprendre, de découvrir, de me questionner, de me juger aussi parfois pour réaliser que je peux faire bouger les choses. Je me chauffe de livres qui jettent un regard sur le monde qui m’entoure, de livres qui m’apprennent à aller plus loin. Je me chauffe de livres qui sont viscéralement percutants.

On a aussi toujours su que les livres pouvaient changer les individus.

Les livres nous apprennent à être humain, nous apprennent à parler aux humains, nous aident à réaliser que nous ne sommes pas seuls, que nous n’avons jamais été seuls. On essaie de nous faire croire que nous sommes divisés. Le système dans lequel nous vivons profite de notre division, de notre individualisme. Mais la littérature met en lumière les points de rencontre entre nous et le monde, les points de rencontre entre nous et les autres. Nous sommes des multitudes et nous sommes unis.

De quel livre je me chauffe? Je me chauffe de mots à fendre le cœur, de poésie à faire pleurer, de théâtre à rêver, de personnages qui vivent. Je me chauffe de tout ce qui est humain : du bon, du mauvais, du doux, du faux, du spectaculaire, du déchirant, du brûlant. Je me chauffe de choses croches, de beautés terrifiantes, de craques dans la façade, de choses lumineuses et de choses sombres. J’ouvre un livre et je cherche ce qui s’y trouve de viscéralement humain.

On sait que le papier brûle à 451 degrés Fahrenheit.

Mais ici, l’hiver sera polaire.

Et on lira sous les couvertures.

On sera informés, on sera humains.

Entrevue avec Noëlle, personnage principal de Grève des anges

Tel le monstre de Frankenstein, les personnages de fiction sont animés d’une vie propre qui échappe souvent à leur créateur.trice. Certains sont même pourvus d’un caractère pour le moins spécial. Ne reculant devant rien, L’Interligne s’est entretenu avec Noëlle, l’héroïne charmante et (légèrement) névrosée de Grève des anges, le recueil de nouvelles de Henri Lessard à paraître le 16 octobre aux Éditions L’Interligne.

L’Interligne : Bonjour Noëlle. Tu n’as que 19 ans ; n’est-ce pas trop tôt pour publier des récits « autobiographiques », en fait rédigés par une autre plume que la tienne ?

Noëlle : Pourquoi ? Je suis majeure, la vie fait de moi ce qu’elle veut.

L’I : Dans ton recueil, tu apparais tour à tour timide et désarmée ou pleine d’aplomb et sûre de toi, parfois même machiavélique. Qui, finalement, est la vraie Noëlle ?

N : À quoi tendons-nous à chaque instant ? À l’émerveillement, à la fureur, à l’ivresse, à la fusion (amoureuse, érotique, mystique), à tout ce qui nous extirpe, nous expulse, nous immerge ou nous absorbe. Être, quel ennui ! Vite, un livre, un paysage, une musique, des yeux, un corps pour m’oublier. Être ou ne pas être, pour moi, la question est vite réglée. Je préfère l’inconscience.

L’I : Tout un programme ! Et l’amour, là-dedans ?

N : Je romps séance tenante avec un gars dès qu’il devient mon chum. Je suis une fille à ex ; je m’entends tellement bien avec eux – et avec elles, car j’ai des « exes » aussi. Un ex, une exe, c’est de l’intimité semée ici et là, de la complicité éprouvée, de la tendresse disponible. On ne devient pas mon ex ou mon exe comme ça. Charles (le dernier de mes ex) avait toutes les qualités. Drôle, attentif, de l’assurance sans arrogance. Alors, j’ai cassé tout de suite avec lui. Depuis, nous ne nous quittons plus.

L’I : Ah bon ! Tu souffres aussi d’une étrange phobie…

N : Je prends toujours mon bain dans une eau mousseuse. Assise dans une baignoire remplie d’une eau plate, sans bulles ni broue, mon regard est immanquablement attiré, à travers la masse translucide, par la blancheur de l’émail et ses vastités glacées. Il en découle des méditations désolées qui rendent la baignoire inhabitable. À moins de convaincre le propriétaire de faire émailler ma baignoire en rose, je ne vois d’autre solution que d’user et d’abuser de la mousse de bain.

L’I : En revanche, les hauteurs ne t’effraient pas.

N : Depuis mon logement du septième, il faut baisser les yeux pour voir s’envoler les oiseaux. Étrange changement de perspective ; ils ne s’élèvent pas, ils tombent sous mes fenêtres, plongeant d’un balcon de l’immeuble ou des corniches des constructions voisines ; jamais je ne les surprends dans l’effort de s’arracher du sol. Du coup, leurs manœuvres dans l’air me semblent une longue suite de glissades aisées.

L’I : Tu abordes des thèmes graves dans ces nouvelles, la mort par exemple…

N : Tout n’est pas sujet à désinvolture.

L’I : Parle-nous de tes préoccupations les plus récentes.

N : Une amie m’a récemment confié qu’elle rêvait de pouvoir se dédoubler quelques heures pour s’observer, se toucher, s’embrasser elle-même… Tout ça pour soi-disant connaître l’impression qu’elle donne aux autres, savoir le goût qu’elle leur laisse en bouche… « Faire l’amour avec son clone, inceste ou onanisme ? » que je lui ai répondu. Je ne suis pas sûre que ça me plairait de me dédoubler, moi. Si je ne m’aimais pas ? Je le découvrirais tout de suite dans mon regard, je veux dire dans celui de mon clone qui, lisant le même dédain sur ma figure, réagirait en conséquence, soupe au lait comme je le suis, et je réagirais à sa réaction, c’est-à-dire à la mienne…

L’I: Quelle serait ta devise ?

N : Personne n’est obligé de m’aimer.

L’I : Que penses-tu de cet Henri Lessard qui signe tes nouvelles ?

N : Je mène une vie indépendante de mon créateur. Je ne pense jamais à lui. En retour, il est très tolérant envers moi.

Grève des anges, Henri Lessard, en librairie le 16 octobre 2019

Collection « Vertiges », ISBN 978-2-89699-668-1

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